Sérénade amorphose
Une fascination de longue date
Je suis fasciné depuis très longtemps, comme interprète et compositeur, par la Sérénade op.24 qu’Arnold Schoenberg a composée en 1923. Cette œuvre est un miracle d’équilibre entre une invention folle et l’esprit d’une tradition, celle de la musique viennoise qui a porté la valse à son plus haut degré de charme et de sophistication. L’invention, elle est d’abord dans le son, le choix d’un ensemble instrumental qui même encore aujourd’hui demeure complètement atypique : deux clarinettes, un trio à cordes, une mandoline, une guitare et une voix grave d’homme qui n’intervient que dans l’un des sept mouvements de l’œuvre. L’association de ces instruments ouvre un monde sonore très riche, malgré le petit nombre d’instruments, qui va de l’extrême douceur aux couleurs acidulées (le timbre si jouissivement incisif de la mandoline) en passant par tous les degrés de l’énergie et du mouvement, y compris celui de la danse comme dans la Tanzscene où le souvenir des trois temps de la valse est particulièrement prégnant. L’imagination rythmique est partout débordante conférant à cette sérénade une vitalité séduisante de prime abord malgré ou grâce à cet alliage rare fait de l’étrangeté, de la singularité d’un nouveau monde et de la familiarité d’un monde ancien qui affleure en permanence.
Au miroir de De Staël et Schoenberg
J’ai souvent dirigé cette œuvre avec un bonheur sans égal tout de plaisir sensuel et d’excitation intellectuelle et pense depuis plusieurs années à la mettre en perspective avec une œuvre d’aujourd’hui écrite pour une formation analogue. Le projet d’une création avec le magnifique trio Polycordes (harpe, mandoline, guitare) m’a donné l’impulsion d’écrire cette œuvre réunissant le trio et des musiciens de TM+. J’ai donc projeté ma Sérénade amorphose comme une œuvre miroir de la Sérénade op.24, ou la référence sous-jacente n’est pas comme chez Schoenberg la tradition viennoise mais bien son œuvre elle-même. La modernité de sa Sérénade me permet de reprendre et de détourner certains de ses motifs dans une dramaturgie nouvelle, véritable mise en abyme dans mon propre univers d’une œuvre que j’aime entre toutes. A la différence de celle de Schoenberg qui comprend sept mouvements, ma sérénade est d’un seul geste développant toutes mes émotions face à ce « matériau » extraordinaire. Même si bien-sûr elle peut vivre sans l’œuvre qui l’a d’une certaine manière fécondée, Sérénade amorphose est pensée pour être jouée avant la Sérénade op.24 afin de créer des jeux d’écoute à multiples facettes où chaque œuvre éclaire, nourrit l’autre, où la mémoire de l’auditeur est sollicitée en permanence pour vivre le plus intensément, de la manière la plus éclairée possible ce qu’il vient d’entendre, ce qu’il entend, ce qu’il va entendre. C’est un des enjeux majeurs pour cet art du temps qui par définition lors de la première écoute file, échappe.
A cette mise en abyme s’en superpose une autre, celle du « Concert » -dernier tableau peint par Nicolas de Staël en 1955 dans l’émotion de la découverte de la musique de Schoenberg- présent et en jeu à travers l’invention et la dramaturgie du vidéaste Christophe Schaeffer puisées aux sources des deux œuvres musicales. Ainsi des résonances multiples et parfois mystérieuses, des liens subtils entre l’œil et l’oreille se tissent-elles entre les œuvres pour ouvrir un espace poétique où les sensibilités, les imaginaires de chacun des quatre artistes convergent vers l’auditeur-spectateur pour faire naître en lui une vibration unique.
Effectif instrumental
2 clarinettes, mandoline, guitare, harpe, violon, alto, violoncelle
Durée
24′
Création
17/01/2025
Nanterre, Maison de la musique
TM+, trio Polycordes, direction Laurent Cuniot
Commanditaire
Ensemble TM+-SACEM
Contacts
Laurent Cuniot